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  • : Les Humeurs de Svetambre
  • : Je n'aime pas les étiquettes, les catégories, les petites cases... je m'y sens à l'étroit. J'ai l'intention de parler de bien des choses, ici ! De mes livres ou de ceux que j'ai lus, de mon travail ou de ma famille, de ce qui me fait hurler et de ce qui me fait jouir de la vie...
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  • Lucie Chenu
  • Je suis un être humain, Yeah ! et comme tout être humain, je possède trop de facettes, trop d'identités, pour les définir en moins de 250 caractères. Vous devez donc lire mes articles !
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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 09:23

edit du 11 mars, suite à certaines erreurs (dans mes affirmations) qu'on m'a signalées

 

Hier, avec le talent qu'on lui connaît, Pierre Assouline s'est fendu pour Le Monde.fr d'un article intitulé « Livres indisponibles : touchez pas au grisbi ! ». Il était question, vous l'aurez compris, de la loi sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle et de la levée de boucliers qu'elle suscite çà et là – levée de boucliers soigneusement occultée par la plupart des médias – à l'exception notable d'Actualitté – ou « mieux », traitée avec dédain, au mépris parfois des règles de déontologie du journalisme. Il est tellement plus facile de tourner en ridicule ce qu'on ne comprend pas !

Non que Pierre Assouline se soit montré « méchant » ; il était juste, comme bien souvent, léger. Seulement voilà, il assénait un tel nombre de contre-vérités que ça m'a énervée. J'ai voulu commenter, mais il faut être abonné au Monde pour cela, et payer 15 euros pour pouvoir exprimer mon opinion est au-dessus de mes moyens. J'espérais que cet article serait aujourd'hui relayé sur le blog d'Assouline, La République des Livres, mais à cette heure, ça n'est pas le cas. Impossible aussi de trouver un contact. J'ai donc décidé de publier ma réponse ici, et d'en avertir Assouline en commentaire d'un autre de ses billets (accessible gratuitement, celui-là, aux commentaires). Ça sera celui qui parle d'Hemingway et de François Bon, le plus approprié puisqu'il y est question de droit d'auteur et que le droit d'auteur est au centre de nos préoccupations, lorsque nous nous penchons sur cette loi de dépossessionnumérisationdes œuvres indisponibles du XXe siècle. Cela dit, ce billet a déjà 665 commentaires, il m'étonnerait fort qu'Assouline se donne la peine de lire le mien, et ma réponse. Au moins, je me serais défouléeexprimée.

 

Cher monsieur Assouline,

 

Je regrette fort que dans votre empressement à faire un bon mot et à pourfendre l'auteur d'un blog concurrent du vôtre, vous n'ayez pas pris la peine de lire le texte de loi que vous défendez, ni la pétition que vous raillez. Vous y auriez découvert bien des choses et, pardonnez-moi l'expression, cela vous aurait évité d'écrire quelques âneries :

 

Vous dîtes en effet : « On s'organise pour monter un chantier dont le principe est louable : rendre disponibles des livres du XXe siècle introuvables en librairie en prenant en charge leur numérisation. Un projet de loi est rédigé. Des députés montent au front, à commencer par Hervé Gaymard (UMP), particulièrement actif sur la question, qui totalise le plus grand nombre d'interventions. La loi est votée, chose remarquable, à l'unanimité tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat (mais celui-ci a imposé et obtenu qu'au bout de dix ans les bibliothèques jouissent gratuitement des fichiers numériques). »

Là, vous faites une confusion : les bibliothèques ne jouiront gratuitement des fichiers numériques que des seules œuvres orphelines, et non de toutes les œuvres indisponibles. (« Art. L. 113-10. – L’œuvre orpheline est une œuvre protégée et divulguée, dont le titulaire des droits ne peut pas être identifié ou retrouvé, malgré des recherches diligentes, avérées et sérieuses. ») Et encore ne pourront-elles prêter que les fichiers des ouvrages qu'elles possèdent dans leurs fonds propres et à leurs seuls abonnés, ce qui élimine d'emblée l'avantage du numérique : l'effacement de la distance géographique. (« Art. L. 134-8. – Sauf refus motivé, la société de perception et de répartition des droits mentionnée à l’article L. 134-3 autorise gratuitement les bibliothèques accessibles au public à reproduire et à diffuser sous forme numérique à leurs abonnés les livres indisponibles conservés dans leurs fonds dont aucun titulaire du droit de reproduction sous une forme imprimée n’a pu être trouvé dans un délai de dix ans à compter de la première autorisation d’exploitation. »)

 

Un point partout la balle au centre, moi aussi je faisais une confusion. Les bibliothèques jouiront des fichiers numériques des oeuvres "dont aucun titulaire du droit de reproduction sous une forme imprimée n’a pu être trouvé dans un délai de dix ans à compter de la première autorisation d’exploitation." et par "aucun titulaire des droits, il faut entendre ni auteur ni éditeur ni ayant droit d'aucune sorte...

 

« Tous les semestres, le corpus sera largement annoncé dans les médias. Si l'auteur ou ses ayants droit ne manifestent pas leur opposition dans les six mois, le livre sera mis en ligne. »

En deux phrases, voilà déjà deux erreurs – qui montrent à quel point ce texte de loi est peu compris, mal expliqué et totalement déformé. Pour commencer, il n'est nulle part fait mention dans le texte d'annoncer le corpus de la banque de données dans les médias, cela est une pure affabulation. Les auteurs devront se débrouiller par eux-mêmes pour vérifier régulièrement la banque de données – au moins le Sénat a-t-il obtenu que cette BDD soit publique, ça n'était pas gagné au départ !

À pourfendre trop vite l'erreur de Pierre Assouline, j'en ai commis une autre (plus bénigne, il est vrai :) Ce sont les députés qui ont permis que la BDD soit d'accès libre et gratuit.

Ensuite, les héritiers ayants droit n'ont dans ce texte aucune possibilité de manifester leur opposition à la numérisation des ouvrages de leurs parents.

Alors, on me signale que les ayants droit auront les mêmes droits que les auteurs et qu'ils pourront s'opposer à la numérisation. Mais je ne suis pas convaincue, d'autres sources m'ayant affirmé que le droit moral n'était pas transmis de façon intacte aux héritiers des auteurs, et en particulier le droit de reproduction qui est l'un des droits moraux du droit d'auteur. Voir pour cela le Code de la Propriété intellectuelle.

 

« "Il était impossible d'envisager une négociation contrat par contrat en raison des coûts de transaction, cela aurait tué le projet", se justifie-t-on du côté du ministère. »

Et donc, puisqu'on n'a pas les moyens de faire les choses honnêtement, on modifie la loi afin d'autoriser la malhonnêteté ? Voilà une curieuse conception du droit, mais je veux bien croire qu'elle émane du ministère et non de vous.

On me précise que l'idée que les éditeurs n'avaient pas de temps ni d'argent à perdre en renégociant les contrats un par un figurait dans le texte initial de la proposition de loi.Elle est même la cause, l'explication de cette loi : "à l'heure actuelle, les éditeurs, acteurs naturels de la valorisation des oeuvres, ne peuvent pas envisager d'exploitation numérique marchande dans un environnement juridique sécurisé"

Ça n'en est pas moins... curieux. Malhonnête. Dégueulasse.

Mais ça n'est pas monsieur Assouline qui est ici en cause, on l'a bien compris.

 

« Une société de perception et de répartition des droits, gérée paritairement par des auteurs et des éditeurs, et contrôlée par des magistrats, est montée exprès ».

Contrôlée par des magistrats ? Où avez-vous lu ça ? Quel article du texte de loi, quelle ligne ? Ça m'intéresse prodigieusement ! Je voudrais bien, moi, que la SPRD soit contrôlée, mais j'ai dans l'idée que les magistrats sont débordés et que ça n'est pas leur boulot...

Et là, je plonge sous mon ordinateur afin qu'on ne se rende pas compte que je suis rouge comme une tomate. La 4e partie de l'article L. 134-3 dit "Les sociétés agréées remettent chaque année à la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits mentionnée à l’article L. 321-13 un rapport rendant compte des moyens mis en œuvre et des résultats obtenus dans la recherche des titulaires de droits, qu’ils soient ou non parties au contrat d’édition." Je ne savais pas que cette commission permanente de contrôle était constituée de magistrats, ce qui prouve bien l'étendue de mon ignorance.

 

« elle proposera à l'éditeur historique d'un livre d'assurer le relais en lui facilitant l'accès au numérique ; à lui ensuite de fixer un prix afin de rendre le téléchargement "attractif" ; s'il n'est pas intéressé, d'autres éditeurs peuvent l'être. L'auteur partagera les profits à 50/50 avec l'éditeur »

Ce que vous omettez de préciser, c'est que ce partage à 50/50 se fera, non pas avec l'éditeur numérique (qui touchera sa part par ailleurs, comme il est normal pour tout entrepreneur qui fait son boulot), mais avec l'éditeur originel, celui qui a cessé d'exploiter l'ouvrage depuis des années, voire des décennies, se voyant ainsi récompensé pour avoir cessé son travail. À côté de ça, d'autres éditeurs se battent pour défendre et promouvoir leur catalogue. Eux n'auront pas droit à cette manne puisqu'il faut que l'œuvre soit indisponible, c'est à dire introuvable en librairie.

 

« conservant son droit moral et pouvant exercer à tout instant son droit de sortie du dispositif. »

Ceci est faux : l'auteur n'a que six mois pour exercer son « droit de sortie », six mois à compter d'un événement dont il ne sera pas informé : l'inscription de son ouvrage dans la base de données. Au-delà de ce délai, il ne pourra exercer son droit de sortie que « s’il juge que la reproduction ou la représentation de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation », mais pas s'il préfère que son livre paraisse dans d'autres conditions, avec un véritable contrat et un véritable travail éditorial. Il y a aussi, plus loin, ce « À défaut d’opposition de l’auteur apportant par tout moyen la preuve que cet éditeur ne dispose pas du droit de reproduction d’un livre sous une forme imprimée » dont on ne sait pas exactement à quelle période il s'applique, mais dont on comprend bien que son résultat est de mettre des bâtons dans les roues des auteurs voulant s'opposer à l'exploitation de leurs ouvrages par ce dispositif, puisqu'il les oblige à supporter la charge de la preuve – preuve d'une négation, qui plus est, amusez-vous avec ça !

 

« Le coût de l'opération est estimé entre 20 et 30 millions d'euros »

Tiens, j'ai vu passer entre 50 et 100 millions d'euros... Mais on ne va pas chipoter pour un détail de ce genre, surtout que j'ai la flemme de rechercher la source (oui, j'ai ce défaut : j'essaie de citer mes sources).

 

« financés par la Caisse des dépôts et consignations. »

Très exactement, l'opération est en partie financée par le « grand emprunt », lequel, en ce qui concerne le numérique, est géré par la Caisse des dépôts et consignations. Mais on est bien d'accord sur l'essentiel : cette opération qui vise à exploiter des ouvrages indisponibles sera en grande partie financée par l'argent public – parce qu'il n'y a aucune dépense plus urgente que d'exploiter des œuvres sous droit sans l'assentiment de leurs auteurs. Et à ce propos, avant de rémunérer l'éditeur numérique, l'éditeur papier originel et l'auteur ou ses ayants droit, la SPRD devra rémunérer les capitaux investis. (Ça, c'est dans l'accord-cadre signé entre le ministre de la culture, le commissaire à l'investissement, le SNE, la BnF et la SGDL, qu'on peut télécharger à partir de http://www.actualitte.com/actualite/monde-edition/societe/exclusif-l-accord-cadre-sur-la-numerisation-des-oeuvres-indisponibles-32264.htm)

 

« Delfeil de Ton y voit pourtant "une arnaque" au motif que cette loi déposséderait les auteurs à seule fin d'engraisser les éditeurs. Et notre confrère d'imaginer déjà les administrateurs du braquage se gobergeant sur le dos d'auteurs à six pieds sous terre et d'introuvables ayants droit, avec force bureaux luxueux, voyages d'études, banquets et décorations, grâce aux émoluments versés par la société de perception ! »

Et vous de vous auto-congratuler de vos bons mots alors que vous déformez totalement les textes (de loi, de blogs, etc.) et la pensée de leurs auteurs...

Pour que vos lecteurs puissent se faire une idée par eux-mêmes, je vous suggère de donner le lien de l'article de Delfeil de Ton : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20120305.OBS2888/truanderie-magnifique.html (toujours citer les sources...)

 

« On entend là l'écho d'un mouvement dont le romancier Ayerdhal est le fer de lance, avec des auteurs regroupés au sein du collectif "Le droit du serf", autour d'une pétition contestant formellement cette loi : elle leur paraît trop favorable aux éditeurs aux dépens des auteurs, et instituerait rien de moins qu'un "piratage officiel et général des oeuvres littéraires du XXe siècle". »

Eh oui ! Vous ne trouvez pas, vous, qu'une loi qui autorise la publication d'ouvrages sans demander leur accord aux auteurs et en rémunérant les éditeurs qui ont cessé de travailler lesdits ouvrages est beaucoup trop favorable aux éditeurs aux dépens des auteurs ? 

 Enfin, quoi ! Faire passer un coût de négociation avant tout ? Et pire, l'inscrire dans la loi, dans le Code de Propiété intellectuelle ? MODIFIER LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE POUR EXPLICITEMENT FAIRE PASSER L'EXPLOITATION AU PROFIT DES ÉDITEURS AVANT LE DROIT D'AUTEUR !!!

Il aurait été si simple de proposer la numérisation par l'intermédiaire d'une SPRD, mais de n'autoriser l'exploitation des ouvrages par ce biais qu'à la condition expresse d'avoir obtenu l'accord des auteurs ou de leurs ayants droit. Mais on comprend bien que les bénéfices auraient été moins juteux pour les éditeurs.

 

Allez, encore quelques liens pour que chacun puisse vraiment savoir de quoi nous parlons, vous et moi.

Le texte de loi voté à l'unanimité par les dix députés présents : http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0865.asp et tel qu'il a été promulgué : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025422700&dateTexte&categorieLien=id (oui, il y a des différences)

 

Enfin, la pétition initiée par Le Droit du Serf http://www.petitionpublique.fr/?pi=P2012N21047 qui court toujours ; nous demandons l'abrogation de cette loi. Si vous la lisez, vous réaliserez à quel point le titre de votre article est faux : les signataires se fichent du grisbi et se battent pour le droit moral, non pour les droits patrimoniaux.

 

Lucie Chenu


Post-scriptum : j'allais oublier un point important. Pour que ma réponse soit compréhensible, il m'a fallu reproduire quelques phrases de l'article. Si son auteur ou ses ayants droit y voient quelque inconvénient, qu'ils n'hésitent pas à me contacter pour que je limite mes citations. Je m'en voudrais d'attenter au droit d'auteur de qui que ce soit !

 

 

  (edit : faute de frappe)

 

 

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Published by Lucie Chenu - dans Livres - édition