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  • : Les Humeurs de Svetambre
  • : Je n'aime pas les étiquettes, les catégories, les petites cases... je m'y sens à l'étroit. J'ai l'intention de parler de bien des choses, ici ! De mes livres ou de ceux que j'ai lus, de mon travail ou de ma famille, de ce qui me fait hurler et de ce qui me fait jouir de la vie...
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  • Lucie Chenu
  • Je suis un être humain, Yeah ! et comme tout être humain, je possède trop de facettes, trop d'identités, pour les définir en moins de 250 caractères. Vous devez donc lire mes articles !
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6 mars 2012 2 06 /03 /mars /2012 13:18

Actualitté m'a proposé de publier en tribune ma réponse au communiqué de la SGDL, réponse que j'avais publiée dans un précédent billet de blog, parce qu'elle était trop longue pour tenir en commentaire sous l'article d'Actualitté relayant ce communiqué. De cette tribune découle une conversation intéressante avec Juriste. Intéressante, entre autre, parce qu'elle me donne l'occasion de mettre par écrit mes réflexions, et donc de tenter de les organiser le mieux possible. Voilà ma dernière réponse ; j'ai souhaité la reproduire ici pour faciliter la discussion avec les lecteurs de mon blog.

 

« Le droit de retrait et de repentir, attributs du droit moral, par exemple, ne sont pas transmis aux héritiers. Le droit de refuser la divulgation ne saurait dégénérer en abus notoire (…) La jurisprudence est cependant fluctuante sur cette question, mais on voit se dessiner deux courants, l'un favorable à un droit "individualiste" opposé à un "droit de la culture" (voir Lucas, Traité de propriété intellectuelle, n°476 et s.). C'est cette dernière tendance que l'on retrouve dans la loi. » Donc, si j'ai bien compris, on préfère que l'État et des entrepreneurs tout ce qu'il y a de plus privés, les éditeurs numériques, s'arrogent le droit de divulgation – et les pépettes qui vont avec ? C'est une façon de voir.

Le fait de dire « au bénéfice de l'oeuvre » me paraît très – je ne dis surtout pas ça pour vous, j'ai bien compris que l'expression était d'usage – hypocrite. On ferait mieux de dire « au bénéfice de l'exploitant » ou encore « au bénéfice du consommateur ». Ça serait franc et ça n'induirait pas en erreur.

 

« Je suis d'accord avec vous sur l'existence de maladresses dans la loi. Il était aisé d'imposer une obligation d'information de l'éditeur à l'auteur quand l'oeuvre n'est pas orpheline et un allongement de la période pour refuser l'inscription dans la base de données. » C'était tellement facile que j'ai du mal à croire à de la maladresse. J'ose espérer que pour rédiger un projet de loi, il faut un minimum de connaissances sur le sujet et de compétences en droit, non ?

 

Danse votre résumé de la loi, vous dites « L'auteur peut apporter la preuve que l'éditeur ne dispose plus des droits d'exploitation (art. L. 134-5 al. 4) », c'est même pire que ça ! L'article dit L. 134-5 « À défaut d’opposition de l’auteur apportant par tout moyen la preuve que cet éditeur ne dispose pas du droit de reproduction d’un livre sous une forme imprimée ». C'est-à-dire que l'auteur, s'il veut s'opposer à la numérisation et à l'exploitation de son texte par une SPRD ou bien s'il l'accepte, mais entend toucher l'intégralité des droits d'auteur, DOIT apporter la preuve que l'éditeur ne dispose pas, ou plus, des droits d'exploitation. Ce qui est loin d'être simple – et pose le problème des publications sans contrat, plus fréquentes qu'on ne le croit ! Quant aux héritiers ayants droit, il est très peu probable qu'ils aient en leur possession les contrats d'édition de leurs parents.

 

J'ai une question à propos de « En revanche, l'auteur, seul, peut s'opposer à l'exploitation du livre en cas d'atteinte à son honneur ou sa réputation (L. 134-4) ou s'il prouve qu'il est le seul titulaire des droits (art. L. 134-6). » Un auteur peut-il s'opposer (s'il a laissé passer le délai de six mois) à cette numérisation et à cette commercialisation grâce à l'argent public, en arguant du fait qu'il a signé la pétition demandant l'abrogation de cette loi et que voir ses œuvres ainsi exploitées nuirait à son honneur ? Et peut-il, par la suite, publier son ouvrage chez un éditeur numérique qui lui proposerait un contrat en bonne et due forme ?

 

« Ce n'est pas parce qu'un livre est "épuisé" que l'éditeur ne dispose plus des droits d'exploitation. » on est bien d'accord :)

 

« Le problème est d'inciter certains éditeurs à recourir à la numérisation des oeuvres. » Le problème ? Pourquoi est-ce un problème et pour qui ? Si c'est pour certains auteurs qui souhaitent voir leurs œuvres connaître cette seconde vie, sans avoir à passer par un autre éditeur, alors oui. Mais...

 

« La loi procède ici à une présomption d'accord qui est critiquable, je vous l'accorde. Mais n'est-ce pas dans l'intérêt de l'auteur ? Diffuser son oeuvre à plus grande échelle avec un complément de revenus ? » La présomption d'accord est critiquable et plus encore. C'est quelque chose qu'on attend dans un accord commercial, mais pas dans un texte de loi, pas dans une modification du Code de la Propriété intellectuelle ! Et pourquoi ne pas inscrire dans la Constitution qu'on part du principe que tout est à vendre, tant qu'on y est ?

 

Cette présomption d'accord n'est pas du tout dans l'intérêt de l'auteur, et cela pour de multiples raisons :

 

Une œuvre n'est pas figée. Un écrivain est un être vivant et sa pensée évolue. Les auteurs d'essais, de thèses ou de manuels, qu'ils soient philosophes, scientifiques, prêcheurs religieux, engagés politiquement ou toute autre chose, n'ont pas les mêmes connaissances aujourd'hui qu'il y a vingt ans, ils ne vivent pas dans le même monde, dans le même contexte technique, politique ou économique, ils ne pensent pas de la même façon (ou alors, ce sont des robots). Et ils peuvent ne pas vouloir que leurs premiers écrits soient portés, maintenant, à l'attention du public, alors qu'ils tentent de faire passer un autre message. L'écriture et le style des romanciers évoluent avec le temps et ils peuvent parfaitement ne pas souhaiter que leurs lecteurs actuels lisent leurs œuvres de jeunesse, plus maladroites, ou leurs écrits alimentaires, datant de leurs périodes de vaches maigres. Présumer l'acceptation de l'auteur me paraît aussi indigne que... présumer qu'une fille accepte les avances d'un garçon. C'est un viol de la pensée – ou du moins, cela peut l'être pour certains.

 

Alors, on peut répliquer « oui, mais le marché de l'occasion... » Ce marché-là est restreint, et ne fait pas concurrence – ni du point de vue financier, ni du point de vue de la pensée – aux publications actuelles d'un auteur, comme risque de le faire un marché du numérique chapeauté par l'État (les numérisations seront payées par l'argent public, quoique les bénéfices doivent être engrangés par des entrepreneurs privés).

 

On peut aussi dire – je l'ai déjà entendu – « comment feront les historiens s'ils ne peuvent aller aux sources ? » À cela je réponds qu'il y a le domaine public, pour fouiller les écrits des auteurs sans leur demander la permission, et qu'à titre personnel, je serais pour une diminution drastique du délai avant l'entrée des œuvres dans le DP. Mais évidemment, cette solution n'est pas retenue parce que le but de cette loi n'est pas d'agir « dans l'intérêt de l'oeuvre » ou dans celui des lecteurs, mais bien dans l'intérêt financier des éditeurs.

 

Enfin, « diffuser son œuvre à plus grande échelle avec un complément de revenus » présuppose que le revenu, par le biais de la SPRD, sera conséquent pour l'auteur. Pourtant, si l'on y regarde bien, on voit que la SPRD aura des frais de fonctionnement, qui seront imputés sur le prix des e-books, et qu'elle devra verser des intérêts (c'est dans l'accord-cadre conclu entre le ministre de la Culture, la SGDL, le SNE, la BnF et le Commissaire à l'Investissement) – puisque qui dit « grand emprunt » dit « placement financier », et donc « intérêts » ; on rémunère les « actionnaires », en quelque sorte. La SPRD devra aussi dégager le bénéfice de l'utilisateur – l'éditeur numérique – et partager les « droits d'auteur » entre l'auteur (ou ses ayants droit) et l'éditeur originel, qui, je le souligne une fois de plus parce que ça me scandalise vraiment, sera RÉMUNÉRÉ PARCE QU'IL A CESSÉ DE TRAVAILLER. (En effet, un éditeur qui continue d'exploiter l'oeuvre, donc de faire son travail, ne rentre pas dans ce système.)

 

Du coup, le revenu de l'auteur, quel sera-t-il ? Sincèrement, je ne crois pas qu'il sera très élevé. Il y a de fortes chances pour qu'il le soit moins qu'avec un éditeur numérique signant un contrat à l'auteur, le laissant corriger, voire remanier, son ouvrage, ce qui est un plus pour les lecteurs et donc un argument de vente.

 

Enfin, il y a des auteurs qui souhaitent que leurs premiers ouvrages soient mis à disposition gratuitement. Ceux qui connaissent Internet les publient en licence Creative Commons, mais les autres ?

 

« Je comprends cependant vos réserves fort légitimes. » Merci  :) et merci de cette discussion.

 

edit : de nouveaux commentaires de Juriste sont arrivés, j'ai donc à nouveau commenté, et ça donne ça : "Ah, je n'avais pas vu vos commentaires d'aujourd'hui, seulement ceux d'hier :)


Vous dites "L'auteur peut demander à sortir du dispositif de gestion collective et exploiter lui-même en vertu de l'article L. 134-6 du code de la propriété intellectuelle" mais il est bien précisé "s’il apporte la preuve qu’il est le seul titulaire des droits définis audit article L. 134‑3." Ce qui est ballot, c'est que j'ai beau scruter en tout sens ledit article L. 134-3, je n'y trouve aucune définition des "droits" !"

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Published by Lucie Chenu - dans Politique - Economie - Société